André Buet

Montillot, village sans histoire, avons-nous prétendu un peu légèrement !

Et nous avons recherché anecdotes et faits divers, afin de faire revivre nos ancêtres aux yeux des jeunes générations…

Nous avons ainsi failli passer à côté de l’un de ces « faits divers » pourtant d’une exceptionnelle gravité, et dont on ne parle plus à Montillot,…sauf dans les mémoires manuscrits de Pierre Guttin.

Cela s’est passé il y a presque 60 ans, sous l’occupation allemande, quelques semaines avant le débarquement allié en Normandie.

On sait que, surtout depuis 1942-1943, de nombreux jeunes cherchant à échapper au « Service du Travail Obligatoire » (S.T.O.) se sont ralliés aux mouvements de Résistance, soit en rejoignant un « maquis », soit en vivant dans une « cache ».

Ces « mouvements » avaient mission, de la part des états-majors alliés, de harceler les troupes d’occupation et de perturber par tous moyens leurs transports et leurs communications. Ce faisant, considérés comme « terroristes », ces jeunes s’exposaient à des représailles souvent violentes : arrestations, tortures, déportations, exécutions,…

Ces représailles s’étendaient quelquefois à leurs proches et aux populations qui les protégeaient.

Et ainsi, des « villages sans passé » sont devenus tristement célèbres : Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, le 10 Juin 1944, avec le massacre de 642 habitants (dont 400 femmes et enfants) ; et quelques jours plus tard, Dun-les-Places, dans la Nièvre, le 26 Juin, avec 27 hommes fusillés sur la place et devant le parvis de l’église…

 

Certes, l’événement que nous rappelons ci-après n’a pas une telle ampleur tragique. Mais on ne doit pas oublier que Montillot a eu ses « jours noirs de l’occupation », les 16 et 17 Avril 1944, et son « supplicié », Léon MOREAU

 17 Avril 1944 . Rapport du Maire de Montillot au Sous-Préfet.

(Archives départementales de l’Yonne – A.D.Y.- 1 W 133 ).

« J’ai l’honneur de vous informer que dans notre Commune si calme d’ordinaire, viennent de se passer depuis 48 heures des choses anormales.

Dimanche 16 dans la matinée, la police allemande est venue arrêter un épicier du bourg, Mr MOREAU Léon, ainsi que sa fille Paulette, épouse ANTONI, mère de 2 petits-enfants.

La police s’étant trompée de maison, elle a fait irruption à l’épicerie PIGEONNAT, qui, n’ayant pas ouvert sa porte assez vite, des coups de mitraillette ont été tirés, et il s’en est fallu de peu que le fils ne soit atteint .

Aujourd’hui lundi, des officiers allemands et des soldats sont arrivés dans un car des « Rapides de Bourgogne », pour perquisitionner au domicile MOREAU. Un officier m’a dit que le dit domicile abritait des terroristes et des armes de provenance anglaise. Par la suite, et ordres étant donnés, ils ont mis le feu à la maison d’habitation et à l’épicerie contigüe de quelques mètres à l’habitation. J’ai alerté les pompiers qui ont mis la pompe à incendie en batterie pour préserver les immeubles voisins. Le même officier m’a averti que si des personnes de la Commune avaient abrité ou hébergé des terroristes, leur domicile subirait le même sort que celui précité…. »

Signé : Alfred DEFERT

8 Avril 1944. Rapport de la Gendarmerie de Châtel-Censoir. (A.D.Y. –1W133)

« Le 17 avril 1944 à 14h30, nous avons été avisés téléphoniquement par Mr le Maire de Montillot…

La veille, Mr Léon MOREAU avait été arrêté à la place de son fils Paul, 24 ans, et Madame ANTONI à la place de son mari Jean, 27 ans, inculpés tous deux de parachutages d’armes et en fuite.

A notre arrivée à 16h30 à Montillot, …le bâtiment d’habitation et celui où se trouve le magasin d’épicerie ne formaient plus qu’un amas de décombres. Les murs étaient encore debout et la cave n’avait pas beaucoup souffert…Les pompiers n’ont pas eu à intervenir pour protéger les bâtiments voisins.

Madame MOREAU a eu l’autorisation d’emmener seulement 2 lits et quelques vêtements pour ses deux petits-enfants, mais aucun de ses effets, ni son argent, ni quoi que ce soit de la maison et de son épicerie.

Les Allemands sont partis à 12h30, quand la maison a été en grande partie consumée. Ils ont déclaré au Maire avoir découvert des grenades et des mitraillettes de provenance anglaise, mais ils ne lui ont pas montré. »

Déclaration de Madame Valentine MOREAU, née MAILLEAU, ( épouse de Léon MOREAU ) aux gendarmes :

« L’officier qui avait arrêté la veille mon mari et ma fille s’est présenté chez moi. Son interprète m’a déclaré : « Vous avez abrité des terroristes ; nous allons vous brûler ! ». Je lui ai répondu : «  Je n’ai pas abrité de terroristes, mais puisque vous voulez me brûler, faites ce que vous voudrez, vous savez que je ne peux pas vous en empêcher ! ».

Ils m’ont ordonné de sortir. Je leur ai demandé de sauver la literie de mon petit-fils Jean-Michel âgé de 18 mois . Ils ont répondu : « Pour l’enfant, je permets, je vous accorde un quart d’heure ».

J’ai emmené ce que j’ai pu, un lit d’enfant, un petit berceau et quelques affaires pour les petits. Mon autre petite fille était chez ses autres grands-parents.

…Ils ont emporté 50 kg de sucre et plusieurs autres caisses de marchandises ».

Témoignage de Paul MOREAU ( gendarme en retraite à Appoigny) – recueilli en octobre 2002. 

NB: Paul Moreau est décédé à Appoigny début Janvier 2004.

moreau« Jean et moi nous cachions à cette époque dans une chambre du rez-de-chaussée, derrière la boulangerie JOUX . Ce dimanche-là, vers 7 heures du matin, Madame JOUX aperçoit par la porte de son magasin, en haut de la rue, deux « tractions CITROEN » noires arrêtées devant l’épicerie PIGEONNAT. Aussitôt elle nous alerte en frappant à la cloison, et nous partons immédiatement, et tout « bêtement », par la grand’rue, vers le bas du village, pour rejoindre les « Côtes » . Mais il y avait un passage à découvert derrière la maison BUREAU, et des balles ont sifflé : elles venaient d’un fusil-mitrailleur installé au bout du jardin de Léon MOREAU. Nous avons pu rejoindre les bois et les Allemands n’ont pas cherché à nous rattraper !

J’ai ensuite rejoint Tameron, j’ai dormi dans une cabane, et dans la journée du lendemain, j’ai rencontré dans la « Plaine » Roger Mathé, qui m’a raconté : sur dénonciation, les Allemands nous cherchaient dans une épicerie ; c’est pourquoi ils sont rentrés chez Pigeonnat et ont tiré sur le fils Pierre. Ensuite mon père les a orientés vers les parents de Jean ANTONI, qui habitaient tout en haut du village, ce qui nous a donné le temps de nous éloigner. Mais ne nous trouvant pas, les Allemands ont emmené mon père et ma sœur . Le matin même, lundi 17, ils sont revenus et ont mis le feu au lance-flammes à notre maison et à l’épicerie.

 

 

Nous avons appris plus tard que Paulette et mon père étaient incarcérés à la prison d’Auxerre. Tous les deux ont subi des interrogatoires très durs, sans fournir aucun renseignement sur la Résistance. Ma sœur a été libérée au bout d’un mois, mais mon père a été mis un peu plus tard dans un convoi partant de Compiègne pour le camp de concentration de DACHAU. Il était en très mauvais état physique, et est décédé avant l’arrivée, qui a eu lieu le 5 Juillet…

Nous l’avons su par un de ses compagnons, dénommé JOUBLOT, de Mailly-la-Ville.

Les jours suivants, nous avons rejoint le maquis du Loup, près de Clamecy…

Nous avons su qui nous avait dénoncés… Il n’était pas de Montillot, et ne savait, ni où habitait notre famille, ni où nous nous cachions …avec des armes !…, sinon les conséquences auraient été encore plus graves !

Témoignage de Paulette MOREAU (Montillot – août 2003)

« Ce dimanche 16 avril 1944, il est environ 7 heures du matin quand les voitures de la Gestapo s’ arrêtent devant l’épicerie PIGEONNAT. Après avoir compris qu’ils se sont trompés d’adresse, ils viennent à l’épicerie tenue par ma mère, au fond de l’impasse voisine. Mon père, interrogé sur la présence de mon frère Paul et de mon mari Jean ANTONI, a la présence d’esprit, pour gagner du temps, d’emmener les policiers allemands chez les parents de Jean, qui habitent à la sortie du village, dans la direction de Brosses et Châtel-Censoir, c’est-à-dire à l’opposé de la place de Montillot et de la boulangerie, près de la quelle logent les deux jeunes recherchés…

Moi, j’habitais la même maison qu’eux, mais au premier étage, avec mes deux jeunes enfants. Je suis allée à pied à la maison de mes parents, pendant que Paul et Jean s’éloignaient par la grand’rue … Mais des soldats qui accompagnent les policiers ont dû apercevoir les fuyards, car à mon arrivée, je suis entraînée avec ma mère dans le jardin derrière la maison pour assister à un mitraillage visant la colline que l’on appelle « les Côtes », où des silhouettes ont été repérées. Heureusement, ils ne sont pas touchés, et les Allemands ne cherchent pas à les poursuivre …Mais ils posent clairement leurs conditions : si Paul et Jean ne se rendent pas, mon père et moi seront arrêtés et considérés comme otages.

Et convaincus que nous cachons des armes, ils fouillent la maison de fond en comble, la cave, le grenier et l’épicerie, mais ne trouvent rien ; ils emporteront le stock de sucre !

Ma mère Valentine, en colère, invective un vieux soldat allemand, qui se défend comme il peut : « Pas moi ! …Chef dur !… »

En fin de matinée, les policiers m’entraînent dans leur voiture avec mon père . ma mère me jette un manteau sur les épaules. Mon père a les mains attachées avec une corde ; moi, je reste libre de mes mouvements, mais le soldat assis à côté du chauffeur braque en permanence son arme sur nous…

Nous arrivons à Auxerre, dans un pavillon de la ville occupé par les Allemands.

On nous fouille et l’interrogatoire commence. Bien sûr nous nions tout lien avec des actions de Résistance ou de parachutages d’armes…

Une autre voiture arrive, déposant un autre homme qui vient d’être arrêté. On nous fait sortir de la villa, et, dans le jardin, sur un banc, mon père et moi mangeons un pain d’épices que ma mère avait mis dans la poche de mon manteau…

En début d’après-midi, nouveau transfert, cette fois vers la prison d’Auxerre. Je me retrouve dans une cellule, avec une jeune fille nommée Irénée . Elle me raconte qu’elle a été arrêtée alors qu’elle se promenait avec son fiancé ; celui-ci s’est affolé en croisant une patrouille allemande, s’est enfui, devenant ainsi suspect, et elle s’est retrouvée seule pour répondre aux questions !

Quelques jours plus tard, les interrogatoires « sérieux » commencent. Dans la pièce où l’on m’emmène, un nerf de bœuf est posé sur la table, et j’aperçois avec inquiétude les marques laissées sur le mur, derrière le siège qui m’est destiné, par des coups suffisamment forts pour décoller le plâtre ….

En fait, j’ai été secouée, mais pas vraiment battue…

Mais une nouvelle m’a fortement choquée : « Votre mère n’a plus de maison, elle a été brûlée … », me dit un jour le policier..

Etait-ce seulement pour m’impressionner ?

Il se trouve que des échanges discrets sont possibles entre cellules. D’une part, Irénée a droit à des colis ; d’autre part, certains gardiens allemands sont complaisants, et Papa peut m’envoyer son linge à laver. En voyant ses chemises ensanglantées, je comprends qu’il subit des interrogatoires très durs …

Un jour je réussis à lui faire passer un papier dans un morceau de pain et lui demande s’il est au courant pour la maison. J’ai la réponse dans un autre morceau de pain : « c’est vrai, mais si je m’en sors, nous en ferons une toute neuve… ».

Une question posée par le policier : « Pourquoi votre mari et votre frère se sont-ils enfuis ? » Ma réponse : « Parce que le bruit courait que lorsque les Allemands arrivaient, ils emmenaient tous les hommes …». Protestations indignées devant cette « fausse réputation » faite à l’Armée du Reich…

Autre question :

« Avez-vous visité l’école de Montillot ? » J’ai certainement un air embarrassé, et ne sait quoi répondre, car c’est l’école de mon enfance ! Nouvelle question : « Vous êtes bien allée à l’école quelque part ? » Là je peux répondre : « oui, à Montillot !».

Je n’ai appris que beaucoup plus tard que « fréquenter » et « visiter » se traduisent en allemand par le même mot !

Je crois être alors passée pour un peu « bébête », et cela a dû se confirmer lors d’une autre séance …

« Votre mari sortait-il la nuit ? » « Oh oui ! »

« Où allait-il ? » J’hésite : « Je ne sais pas … » . « Enfin, vous avez bien une idée ? »

« Je pense qu’il allait voir une autre femme … ».

Cette réponse déclenche l’hilarité du groupe, dont une femme fait partie …En entendant ces gros rires , je comprends que la naïveté est une bonne défense : il est évident que personne n’a pu me confier des secrets compromettants, et que l’on ne pourra rien tirer de moi !

J’ai donc conservé cette attitude par la suite, et c’est peut-être ce qui m’a sauvée…

D’ailleurs on m’a laissée de plus en plus tranquille…

Un jour, on m’amène une nouvelle compagne de cellule, qui a une maladie de peau impressionnante. Un médecin me dit : surtout, ne la touchez pas, il faut que vous changiez de cellule.

En sortant pour cet échange, le gardien me dit : « Vous…, maison…, tout de suite… ! »

Nous étions le 19 Mai. J’étais libérée !…après 32 jours…

En descendant de mon 1er étage, je demande au gardien à voir mon père, qui est au rez-de-chaussée. …Vite, vite … ! J’ai le temps de l’embrasser ; il me dit : « Si on te demande de signer un papier, signe n’importe quoi, mais sors ! ».

Papa est parti pour l’Allemagne après le débarquement du 6 juin : il a pu jeter un papier avec notre adresse du wagon qui l’emmenait…Je ne l’ai jamais revu… ».

La suite ….

La maison a été reconstruite aux frais de l’Etat vers 1950 . Dans un trou du mur de clôture, on a trouvé la montre que Léon MOREAU y avait déposée avant d’être emmené par la Gestapo.

Le 27 Juin 1971, une plaque rappelant le souvenir de cette tragédie a été inaugurée sur la nouvelle maison .

commemoCette cérémonie fut organisée par l’Association Nationale des Anciens combattants de la Résistance, et ses responsables régionaux, Mme GARNOTEL et M. Robert BAILLY, en présence de M. Georges MOREAU, qui commandait le maquis du Loup , du « Commandant Théo », du maquis Vauban, et de nombreux sympathisants.

Quelques précisions ont été données à cette occasion : Léon MOREAU se trouvait le 2 Juillet 1944 parmi les 2521 déportés entassés dans un train partant de Compiègne pour le camp de DACHAU, en Bavière. A l’arrivée, le 5 Juillet, vers 13 heures, 984 étaient déjà morts, étouffés dans les wagons ou fusillés s’ils avaient cherché à s’échapper. Sur les 1537 rescapés, 121 seulement sont revenus en France en avril 1945…

Seule une plaque discrète , au fond d’une impasse, évoque donc le souvenir de ces évènements.

C’est peu…Il serait pourtant nécessaire que les jeunes qui, au cours de ce 21ème siècle, habiteront ou traverseront Montillot, sachent qu’un certain jour du milieu du siècle précédent, le 17 Avril 1944, la guerre a frappé brutalement une famille, au cœur même de notre village…