André Buet

Article publié dans le Bulletin de «  l’Association des Amis de Vézelay et de sa région », N°47- hiver 1999-2000

Victor Petit, dans son étude historique sur « Avallon et l’Avallonnais », ne nous accorde qu’une ligne: « il y eut un engagement meurtrier près de Montillot »…C’était en juillet 1589, sous Henri III; il s’agit d’un combat entre une troupe d’Avallonnais ligueurs et des partisans du Roi.

Les registres paroissiaux nous permettent de reconstituer la généalogie des familles depuis la première moitié du 17ème siècle; mais les curés ajoutaient rarement des commentaires sur la vie du village.

Nous avons eu la chance de trouver d’autres sources…  

Grâce au soin apporté par les propriétaires successifs de l’ancienne demeure des familles nobles de MONTILLOT à la conservation de documents anciens, – certains remontent au 15ème siècle -, nous disposons d’actes d’achats et de vente de biens immobiliers, de lettres, de livres de comptes, de plaidoieries et de jugements, de donations-partages, … qui nous apportent un éclairage, non seulement sur la vie de ces familles, mais aussi sur celle des gens du village avec lesquels elles entretenaient des relations quotidiennes.

Nous examinerons ci-après l’un de ces documents, qu’a bien voulu nous confier le propriétaire actuel, Monsieur Jean-Paul YAHER; il s’agit d’un registre cartonné de dimensions 32,5 cm x 23 cm et 4 cm d’épaisseur, de 551 pages manuscrites, intitulé:

Le journal Recettes-Dépenses

Ce registre fut tenu de 1806 à 1812 par Joseph Anne Georges de LENFERNA, marié depuis le 1er Août 1805 avec Françoise Mulot de Villenaut, cohéritière de cette propriété après la mort de sa mère Edmée Elizabeth De La Borde en septembre 1805; lui-même, né en 1771 à Auxerre, était fils de Jean Joseph Guillaume, seigneur de La Motte-Gurgy, et de Elizabeth Sophie Le Muet de Bellombre. ( pour mémoire : c’est en 1648 que Bon de La Borde, habitant jusque là la Borde-Roncin, domaine isolé de la paroisse d’Asquins, a acheté à un laboureur une maison et ses dépendances au lieudit « Toucheboeuf » àMonteliot).

On ne peut qu’être frappé par le soin méticuleux avec lequel ces comptes sont tenus quotidiennement du 16 Novembre 1807 au 31 Décembre 1812 (noter que nous n’avons que 7 pages pour 1806 et 1807).

Chaque jour est indiqué ce qui a été fait dans le domaine, et par qui, – le propriétaire, sa femme, leurs serviteurs, leur métayer, les journaliers, les artisans …- , ce qui a été payé, – en espèces ou en nature -, ce qui a été semé, récolté ou vendu, ce qui est dû, le temps qu’il fait, les lettres envoyées et les lettres reçues …

Un exemple :  » Le 3 janvier 1809, Pl.gd Vt fr. (pluie, grand vent froid), donné à Edme Jojot, dit Goujard (journalier moissonneur) sur sa moisson un boiceau d’orje, je lui en redois encore deux bichets 3 quarttes. J’ai écrit à Thébault, avoué à Avallon et à ma mère à Belleville près Paris ».

Ce registre tenu si soigneusement par Joseph Anne Georges, – le Maître des lieux que nous désignerons ci-après par « J.A.G.L. » -, est justifié en premier lieu par la gestion de l’exploitation agricole. Une lecture rapide met en évidence la succession des travaux en fonction des saisons.

Il s’agit de polyculture, comme elle fut conduite dans notre région – avec des moyens progressivement améliorés -, jusqu’à la fin de la 2ème Guerre mondiale . Parallèlement sont menés les travaux ménagers quotidiens – avec l’achat des denrées nécessaires à la vie de la famille, et la vente d’une partie des produits des récoltes et de l’élevage -, ainsi que l’entretien et l’amélioration des bâtiments du Domaine.

On voit que l’essentiel de la culture porte sur les céréales, appelées globalement les « bleds« .

Le froment – notre « blé » d’aujourd’hui -, tient la première place, soit 30 à 35% de la surface emblavée.

Le seigle n’est jamais semé seul; il est mélangé avec le froment, – en proportion non précisée ici – pour constituer le métail .

On a aussi un peu d’escourgeon, variété d’orge semée à l’automne, appelé aussi « soucrion » ou « orge d’hiver » ou « orge nuë »; et la mouture, mélange de grains, qui sera transformé en farine pour l’alimentation animale. Puis les céréales de printemps, blé de mars, orge et avoine .

On sème aussi les « petits grains » , pour obtenir soit des matières textiles, soit de l’huile soit du fourrage : chanvre, lin, navette, sainfoin, trèfle.  

Et puis il y a la vigne, qui exige des soins continus de mars à novembre.

Examinons de plus près cette culture, telle qu’elle était dirigée par notre châtelain, avec l’aide de journaliers du village, – dont pour certains, les descendants vivent aujourd’hui à Montillot -, et telle qu’il la décrit, avec le vocabulaire et les tournures de phrase de l’époque.

 

La vigne

J.A.G.L. ne possède que 3 parcelles plantées en vigne; on ne connaît pas leurs surfaces. L’une est en « Crobié », l’autre à la « Côte Caffard », la troisième à « La Vathaire » – probablement à proximité du moulin de Marot, les vendangeuses venant surtout de Baudelaine – (ou près de la Côte Cafard ?).

Il semble qu’une autre parcelle ait été arrachée au printemps 1808 ; on lit en effet « le 8 Mars, Madeleine Defert a travaillé à dépesseler Guillermain (Lieudit); j’ai amené les paisseaux avec mon cheval, il y en a 2 voitures ». On devine que « dépesseler », c’est arracher les « paisseaux« , c’est à dire les « échalas » ou « piquets de vigne ». Et le 14 mars, « Claude Defert et Cascaret ont commencé à arracher les vignes à moitié bois ». Le 17, « Pierre Degoix a amené les paisseaux et chorées de vigne de Guillermain » (les « chorées » sont les souches). Les paisseaux sont confectionnés en hiver; « le 21 Janvier 1809, Claude Savart, métayer, a aiguisé et écorcé les paisseaux toutte la journée. Il a étté nourri… »

On retrouve chaque année le même cycle de travaux, facile à reconstituer à partir des notes du propriétaire sur son registre, destinées à permettre le règlement ultérieur des journaliers.

 Le 27 Mars 1810, « entrepris à Antoine Guilloux dit Le fermier, nos vignes à tailler moyennant un cent de fagots qu’il fera et 5 livres en argent pour le tout… »

« Le 12 Avril (1810), Marie La Jacotte et sa fille ont sarmenté les vignes ». Il s’agit en fait de ramasser les tiges de l’année précédente qui viennent d’être « taillées », de manière à provoquer la reprise de la végétation à partir du pied.

Fin avril, on « pique » les vignes, c’est à dire qu’on plante les paisseaux, piquets de bois enfoncés dans le sol au pied de chaque cep pour soutenir les tiges nouvelles et les exposer au soleil. « Et on s’efforce de les mettre bien droits « , nous dit Pierre Guttin, un de nos « anciens » du village…

Ensuite, on « sombre »; c’est le premier labour de la saison, la première « façon » printanière.

En 1809 et 1810, c’est « Pierre Porcheron et son garçon avec Jacques Fleuri » qui en sont chargés. En 1811, les travaux de printemps dans les vignes sont traités à forfait, « le 19 May, entrepris à Antoine Guilloux, dit Le Fermier, à sombrer, essumacer, rogner et biner les vignes de Crobier et de la Vathère moyenant 24 f. pour le tout ».

En juin, il faut discipliner les jeunes pousses et les regrouper autour du paisseau; le 4 Juin 1811, « la mère à Gabrielle Forgeot a accolé les vignes; elle a étté nourrie ». « Accoler« , c’est attacher les grandes pousses au piquet. On note une autre année : le 19 Juin 1808,  » donné à Lazare Poulain pour accoler les vignes 6 gléneaux de gluis ». C’est que le lien utilisé est fait de « glui« , paille longue de seigle « assouplie en la battant par poignées successives sur l’arrondi d’un tonneau calé à plat dans un coin de la grange »;… » ce travail se faisait par temps humide, – pluie ou neige -« , nous raconte P.G.

Ensuite, on « essumace » – on dit aussi « ébourgeonne » -, c’est à dire qu’on coupe les pousses latérales inutiles, puis on « rogne » les bouts des tiges au-dessus du piquet avec une faucille.

Il faut aussi remplacer les pieds de vigne trop anciens; pour cela on part d’un cep vigoureux et on « marcotte », c’est-à-dire qu’on plie vers le bas une tige ligneuse longue et on enterre sa partie médiane. Elle s’enracine, et plus tard on coupe la liaison avec le cep d’origine (en langage moderne, on a ainsi un « clone » du précédent). Le marcottage de la vigne s’appelle le « provinage« .

Le 17 septembre 1809,  » donné à Lazare Poulain un gléneau de gluis pour l’attache des provins dans la plantte »…La « plante » est la jeune vigne. 

Pour finir, et attendre la vendange, on procède au « binage« ,- avec la « binette » ou la « serfouette »-, qui consiste à ameublir le sol en coupant les mauvaises herbes à la racine.

En août, il faut songer à préparer les tonneaux; le 31 Août et le 1er septembre 1808, « Dominique Mazilier travaille aux feuillettes (nourri) ».

Et les vendanges arrivent, plus ou moins tôt selon l’ensoleillement de l’été…

En 1808, les 29 et 30 Septembre; « Gabriel Tixier de Baudelaine, sa femme, celle de Lazare Philipon, un garçon à Pierre Trousseau, une autre femme, le Bailly, sa femme et 2 de ses enfants, et Edmond Jacob, ont vendangé »… »à la Vathaire 2 pièces, …en Crobié, deux pièces »…Mais le 11 Septembre, les vignes avaient « étté grêllées »…

En 1809, les 16 et 17 Octobre seulement…La récolte s’annonçant insuffisante, J.A.G.L avait le 8 Octobre, « acheté la vendange des vignes d’Agathe Degoix, dite La Bankale, moyenant un bichet comble bled froment ».Cette vendange effectuée le 16, a donné « 4 billouts d’âne »,plus « une hôtée dans la Cotte Caffard »; le 17 à la Vathaire, « une feuillette de raisins blancs et une de raisins rouges »; »en Crobié, une feuillette et une pièce de 3/4  raisins blancs et 4 billouts de rouge ». Mais ce n’était pas suffisant : « j’ai achetté la vendange du métayer, 2 grosses pièces de 3/4 raisin blanc et un billout de raisin rouge pour 20 livres le tout. Il a tout le marc pour faire de l’eau de vie et doit me le rendre après pour mes pigeons ».

Suite des travaux : « le 18, j’ai fait mon marc blanc chez Toussaint Defert, j’en ai eu pour tout deux feuillettes un quart. Edme et Jean Jojot ont aidé à faire le marc ainsi que le métayer ».

« Le 28 , on a tiré le vin rouje, il y en a 2 feuillettes en tout »…

En 1810, la vendange fut courte, bien qu’y fût comprise à nouveau celle d’Agathe Degoix: « nous avons commencé et fini » le 8 Octobre; « 12 billouts de raisins tant blancs que rouges ». J.A.G.L. a acheté  au « métayer une feuillette de vin nouveau blanc »…Le 14 Octobre, « tiré le vin rouge, pas tout à fait une feuillette »…

En 1811, les raisins sont mûrs plus tôt, mais peu abondants.« le 16 septembre, on a vendangé, la fille au grand Claude, la femme et la fille à Tissier et le père Boulin ont vendangé pour nous avec Claude Savart, sa femme et son fils. Nous en avons fini à 3 h du soir »… »Le 21, j’ai tiré seul mon vin rouge, j’en ai eu en tout 2 feuillettes un quart »…

En 1812, un seul jour de vendange, le 15 Octobre; « j’ai fait le marc blanc; j’en ai environ trois quartes; Jean et Gabriel Berthoux ont vendangé pour nous avec les enfants de Claude Savart et la meunière de Marot ».

En résumé, la culture de ces parcelles de vigne ne parvient pas à subvenir aux besoins de l’année. L’exploitant doit acheter en supplément du raisin au moment des vendanges et du vin en cours d’année. Et nous ne savons rien sur la qualité du vin obtenu…!

Dans un prochain article, nous évoquerons, toujours par la voix de Joseph Anne Georges, la culture du chanvre, totalement disparue de nos campagnes depuis la fin du 19ème siècle.

 

Le Chanvre

Poursuivant la lecture du livre de comptes de Joseph Anne Georges de LENFERNA (« J.A.G.L. »), châtelain du lieu, nous avons tenté de décrire une culture qui se pratiquait couramment à la même époque, celle duchanvre.

Les chènevières se trouvaient près du village et étaient l’objet de soins particuliers. Il fallait un sol frais et profond, engraissé par le meilleur fumier de ferme. (en 1950, on appelait encore « chènevières » les parcelles du « Pré du Mitan », tout près des maisons de Montillot).

On semait fin avril, début mai. …« Le 2 May (1812) Claude Savart (le métayer) a semé la chènevière du Verger du Salon et mené 3 voitures de fumier, dont une de poule, dans l’autre du Puits Martin » (au total 37 perches, soit 18,5 ares au total).

Cette culture ayant pratiquement disparu de nos campagnes à la fin du 19ème siècle, quelques autres documents nous ont permis de faire connaissance avec  cette plante, dite à l’époque, « industrielle », puisqu’à la base d’une réelle industrie textile : 175 000 hectares étaient cultivés en France en 1830, …3300 seulement en 1945.

C’est une plante « dioïque », c’est-à-dire que des fleurs mâles et des fleurs femelles apparaissent sur des pieds distincts. Les pieds mâles arrivent plus tôt à maturité, sont plus grêles, avec des fleurs jaune pâle, rassemblées au sommet en grappes, et peuvent atteindre 2 mètres. Ils sont coupés au début d’août, – en prenant soin de ne pas endommager les pieds femelles -, et ne donnent pas de fruits. On tire la « filasse » de leurs tiges.

Les pieds femelles, portant leurs grains en épis à l’aisselle des feuilles, sont arrachés au moins 3 semaines plus tard, et fournissent le « chènevis » dont on tirait de l’huile pour les lampes (et pour la cuisine en période de disette…!).

« Le 8 Aoust 1808,…on a cueilli les chènevières; …il y a 254 poignées de chanvre dans ma chènevière et 57 poignées pour ma moitié dans celle du métayer »…

(Les tableaux des récoltes, établis en fin d’année par J.A.G.L., indiquent pour 1808, 900 poignées au total; pour 1809 et 1810 à égalité, 1200 poignées; pour 1811, 1350 et pour 1812, 967 poignées.)

« Le 14 Septembre, on a commencé d’arracher la chènevière »…Il s’agit bien des pieds femelles, puisque le 18 septembre, « on a battu la chènevière le soir; il y a 2 bichets de chènevis »…, et le 21, « on a éballé le chènevis, il y en a eu une quarte »…De même, le 9 Août 1810, « on a cueilli notre chènevière, il y en a de femelle 330 vergeons »…

… le chanvre mâle subit un traitement complexe pour en extraire la matière textile.

Dès « le 10 Aoust, jour de Saint Laurent mercredy,…l’on a mené le chanvre à Fontenille pour le mettre à l’eau… »

Il s’agit de la phase de « rouissage » (ce mot n’est pas employé par J.A.G.L.) : on fait macérer les tiges dans l’eau de manière à isoler les fibres textiles en détruisant la matière gommeuse qui les soude, par un phénomène de fermentation produite par le bacille « amylobacter ». On peut « rouir » sur le pré, à l’eau dormante ou à l’eau courante; c’est ce dernier mode qui fournit la plus belle filasse. Il faut environ 6 jours pour le chanvre mâle et 10 pour le chanvre femelle.

« Le 18, on a étté retirer le chanvre de l’eau »… »Le 19, le métayer a ramené le chanvre de Fontenille… »

Une autre fois, on porte le chanvre à la rivière, à Blannay; une autre, dans la mare du « Croc des Joncs ».

Fin septembre, une deuxième « fournée » est mise à l’eau pour une dizaine de jours, puis retirée et mise à sécher (au grenier…, ou au four ?…, on ne nous le dit pas…).

Après le séchage, il s’agit d’extraire les fibres textiles de l’écorce des tiges.

Le 10 octobre 1808, « les feurtiers ont commencé à arranger le chanvre ». Ils terminent le 26. Qu’ont-ils fait ? J.A.G.L. ne nous donne pas de détails. D’autres documents nous aident à reconstituer ce travail d' »arrangement », effectué en 1808 par Claude Defert et Edme Mazilier (dits « les feurtiers »), en 1809 par Claude Defert et Jean Jojot (dits « les bourons »…), Gabriel Tixier de Baudelaine et Pierre Savelly, qui « repassent la filasse »; en 1810 et 1811, par Etienne Brisedoux, dit « Lucas » et son « garçon ».

(Noté sur le « Dictionnaire du monde rural » : « en Morvan, les forandiés sont ceux qui travaillent le chanvre.)

Il s’agissait d’abord de séparer l’écorce du coeur des tiges. pour cela, on pouvait, soit battre celles-ci au maillet, étendues sur des tréteaux, soit les écraser avec une « broie« , sorte de grand couteau à 2 mâchoires parallèles, articulé par un bout et fixé sur une sorte de banc. Sous la pression et les chocs, l’écorce fibreuse se sépare de la partie centrale ligneuse de la tige; celle-ci est cassée en fragments, les « chénevottes », qu’on réunit en fagots, et qui sont utilisées pour faire de courtes flambées (dans un four), ou bien comme allumettes, pour transporter du feu d’une pièce à l’autre…

Dans l’écorce, il faut ensuite débarrasser les fibres de la « teille », reste de matière gommeuse qui enrobe les fils. C’est l’opération de « teillage« ; il semble que l’on dise souvent dans l’Yonne, « tailler » au lieu de « teiller »: le 20 Octobre 1808, « on a fini de teiller le chanvre », mais le 2 Septembre 1809, « les 2 Gourdonnes ont taillé le chanvre toute la journée… »

On fait chauffer ces fibres et on les passe successivement entre les dents de peignes de différents calibres, selon la finesse et la longueur des fibres textiles. J.A.G.L. distingue l' »étoupe » de la « filasse« ; le premier terme correspond probablement à un stade d' »arrangement »- ou de « peignage » -plus grossier. En 1809, on a constaté dans cette opération un « déchet » de 22 livres sur 94.

Après ce traitement, on pèse en effet le « produit » : 111 livres en 1808, 127 en 1809, 121 en 1810, 82 en 1811, pour la récolte de l’année.

De la « filasse », il faut maintenant tirer le « fil »… »Filer », c’est réunir les brins, qui font 70 à 80 cm de long, en les tordant soigneusement.

« Le 20 Décembre 1808, donné à Agathe Degoix 8 livres d’étoupe pour filer… »

« Le 23 janvier 1809, Agathe D. a rapporté le fil, il y en a 8 livres à 7 sols la livre, ce qui fait qu’il lui est dû 2 livres 16 sols pour le tout… »

Il y a aussi « La Beurue », la « fille de la Menuisière » (fille du menuisier Boulet, mariée avec Edme Jojot), l' »attache de Baudeleine », « Fanchon la Gourdonne », la « femme à Natire », la fille de Degoix, dit « le Tac », la « femme à Laurent Degoix », la femme à Gabriel Tixier, la « fille à Germaine », une « femme de Farges »…Ces fileuses travaillent chez elles, et se constituent ainsi un salaire d’appoint.

Principe du « filage »: l’écheveau de filasse est enroulé autour d’un bâton court, quelquefois fourchu vers le haut, la « quenouille« , l’autre extrémité étant tenue sous le bras gauche. De la main droite la fileuse tire quelques brins de l’écheveau, les tord ensemble, serrés entre le pouce et l’index, les mouille de salive pour en faire peu à peu un fil souple qu’elle attache et enroule sur le « fuseau« , broche pointue aux deux extrémités, qui, posée verticalement sur le sol, peut pivoter, poussée d’un coup sec.

Il est probable qu’à cette époque, la plupart des fileuses possèdent un « rouet » : une roue, mue par une pédale, fait tourner le fuseau, lequel tire sur le fil, qu’il suffit de tordre et de guider… Même chez les Lenferna…: le 9 Août 1809, on a acheté « un rouët à filer du fil », dont on se servira, puisque le 11 Novembre 1811, « payé à Fournier, maréchal à Montillot, 10 centimes pour avoir mis les dents au dentier d’un rouët »…

Ensuite, on confie le fil aux tisserands, pour fabriquer de la toile, une toile presque inusable, dont les femmes faisaient des draps, des nappes, des chemises, des camisoles,…capables de durer plusieurs générations. Le tisserand devait rendre tant d’aunes pour tant de livres de fil…

Le 25 Avril 1809, « donné à (Claude) Bureau, tisserand, 15 livres de fil pour faire de la toille, il en prend 7 sols de l’aulne »…Le 25 mai 1809, « Edme Jojot, dit Goujard, a apportté 37 aulnes de toille, qui joint à 9 autres précédemment livrées, font 46 aulnes à 12 sols par aulne de façon, fait 27 livres 12 sols… »Le 18 Février 1810,« Edme Jojot, dit Goujard, a apportté 59 aulnes 1/2 de toille à 5 s. l’aulne; il lui est dût pour cet objet 14 l. 15 s. »…

Il nous manque, dans le 1er cas, la quantité d’étoffe rapportée par le tisserand Bureau; dans les 2 autres cas, la quantité de fil tissée par Edme Jojot…Décidément, ni le rendement de ses cultures, ni son compte d’exploitation, ne préoccupaient J.A.G.L. …!

Autres tisserands : Jean Boussard, … Bouchard, Léonard Berthoux, Jean Pernot, Edme Carillon, Lazare Lemoux, Antoine Porcheron …Ils travaillent souvent dans une cave, où ils trouvent une humidité favorable au tissage (c.f. Bulletin de la Société des Etudes d’Avallon / S.E.A. 1925).

On peut aussi faire de la corde de chanvre : « le 19 décembre 1810, je suis resté à Auxerre…Donné à Sognet, cordier Ruë du Pont, vis à vis chez Carillon 3 livres 1/4 fillasse pour faire de la ficelle à paillasson. Convenus à 12 sols la livre de façon »…Le 2 janvier, « envoyé aujourd’huy par Baron, commissionnaire à Vézelay »… »de la filasse à Sognet cordier en face chez Carillon, auberge à la bouteille »…Le 19 février 1811, » Sognot cordier m’a envoyé 2 livres moins 1/4 de ficelle à paillasson et 1 livre de cordeau portant 30 Toise de long »…

Une autre utilisation particulière est signalée le 15 Décembre 1809 : « on a amené hyer le Poulangis du foulon, il y en a 7 aulnes, il est dût à Tausard le foulonnier du Ruë d’Auxon 1 l. 2 s. pour cela »…

Cette opération  s’effectuait dans un « moulin à foulon« , et consistait à « fouler » l’étoffe: des maillets entraînés par des rouages mus par une chute d’eau frappaient tour à tour les tissus (ou les cuirs) à assouplir. L’eau de ces moulins était alcaline et argileuse; la « terre à foulon »servait à dégraisser la laine de mouton. Mais qu’est-ce que le « poulangis »?

D’après un article du « Bulletin S.E.A. de 1925-26 sur les « Métiers disparus », l’étoffe commune dans l’Avallonnais au 19ème siècle était un composé de laine, de fil de chanvre et de coton; elle s’appelait « bouêge ou droguet » et, dans l’Auxerrois, « serge  et poulangis« …

Ce tissu était apprécié ; il faisait partie du salaire en nature des servantes :

– le 28 Avril 1809, un « habit de poulangy barré » demandé par Françoise Jojot

– le 30 Avril 1810, un « habit barré de Boëge » pour Gabrielle Forgeot.

L’adjectif « barré » évoque probablement un motif décoratif; il est utilisé pour les armoiries : l’écu « barré » est traversé de une ou deux barres obliques.

Il existe de nos jours une ferme dite « du Ru d’Auxon », tout près de l’étang du Foulon, sur le ruisseau de Chamoux, entre Asnières et Châtel-Censoir. Le même article du Bulletin de la S.E.A. nous signale qu’il y avait trois « foulons » près d’Avallon et que l’argile à dégraisser la laine de mouton se prenait à Champien…

Une partie de la filasse peut être vendue : Le 10 décembre 1809, » Françoise Jojot, domestique, a mené vendre la filasse à Auxerre… elle en a raportté 37 livres pour le prix. Elle l’a vendu 17 sols la livre. Il y en avoit 43 livres pesants »…

Il arrive aussi qu’on complète l’approvisionnement chez un autre producteur du village : « le 12 février 1810, ma femme a achetté du chanvre pas taillé pour 6 livres (francs). En a 18 livres pas taillé »…

La laine des moutons du Domaine est également traitée : « le 6 septembre 1810, Edmée Defert a filé de la laine avec son apprentie… »

Les autres activités du Domaine de Toucheboeuf

C’est la culture des « bleds » qui occupe la plus grande surface :37 arpents, soit 18,5 hectares en 1809. Le chanvre : seulement 70 perches, soit 35 ares. Les autres « petits grains », – lentilles, navette, pois ronds, sainfoin et trèfle -, et les pommes de terre, environ 10 arpents…

Jardinage :

Il y a un jardin attenant à la maison. Les tâcherons ayant préparé le terrain, c’est J.A.G.L. lui-même qui fait les semis. On note au fil des jours : haricots, carottes, oignons, raves, cardons, échalotes, choux de Siam, choux Cabbage, choux-fleurs, pois ronds, épinards anglais à larges feuilles, chicorées, asperges, ail, laitue paresseuse,…Il note tout ce qu’il fait :  » j’ai semé des pois vers le poirier de Gras le long du mur, j’ai planté 21 pieds de rhubarbe et du céleri… »

Il fait venir une partie de ses graines de chez Vilmorin à Paris, et en achète d’autres dans la région selon les occasions : … » une once graine d’artichauts verts de Laon de chez Pierre, le conducteur de la diligence… »

Elevage d’animaux domestiques

La plupart des animaux font partie du « Domaine » et sont donc gérés par le métayer; quelques uns sont à l’entière disposition du propriétaire pour les besoins du ménage : un cheval, un âne, une ou deux vaches, un porc, des poules …

Apiculture

J.A.G.L. possède quelques ruches dans un coin de son potager.

On ne parlait pas d’abeilles, mais de « mouches« , – sous-entendu « à miel » -.

Le 9 Mars 1808, « Denis Garnier a taillé les mouches; il y a très peu de miel ». Ici, « tailler », c’est couper le « gâteau » confectionné par les abeilles afin de leur enlever le superflu de miel et de cire, considéré comme la « récolte » du propriétaire, destinée à être consommée par la famille, vendue ou échangée.

En juin, par temps lourd et orageux, une partie des abeilles, accompagnant – ou non – une jeune reine « dissidente », s’échappe de la ruche et va se poser sur une branche d’arbre proche, serrée en une boule bourdonnante. Avant qu’elle ne s’éloigne davantage, l’apiculteur vigilant peut les récupérer et les installer dans le « panier » d’une ruche vide.

Pour nous, il s’agit d’un « essaim »; en 1808, on disait un « jetton« . « le 13 Juin 1808, lundy, il y a un panier de mouches qui a jetté »…

Mais tous les essaims ne forment pas forcément de nouvelles ruches; le 3 Octobre de la même année, « Denis Garnier, de la Charbonnière, a arrangé les robes des mouches; il y en a 3 paniers de morts, un jetton sauvé »…Les « robes » sont les « capuchons » de paille de seigle qui recouvrent la ruche comme d’un toit rond pentu et protègent les abeilles de la pluie et du froid.

Le 13 Novembre 1811,  » Denis Garnier », …., a « enroché touttes les ruches à miel et leur a mis des robbes de gluis neuves » .

L’hiver peut venir…

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